La radioluminescence des feldspaths
Un nouvel outil de datation des gisements archéologiques et des séquences quaternaires d’Aquitaine
Ce projet présente plusieurs objectifs, tant au niveau des recherches méthodologiques qui seront menées par le groupe Recherches en Chronologie du laboratoire de l’IRAMAT‐CRP2A (CNRS Univ. Bordeaux 3), qu’au travers des applications de datation réalisées dans le cadre d’une collaboration entre les physiciens de l’IRAMAT‐CRP2A et les préhistoriens, géologues et anthropologues du laboratoire PACEA (CNRS Univ. Bordeaux 1 Ministère de la Culture et de la Communication). Cette collaboration aura pour objectif d’apporter des données nouvelles à une problématique archéologique qui, aujourd’hui encore, reste pleinement ouverte en raison de la quasi‐absence de données chronologiques fiables. Cette problématique concerne l’évolution des cultures du Paléolithique dans le Sud‐Ouest et celle des populations néandertaliennes qui y ont vécu ; elle est de ce fait définie localement mais les travaux qui s’y rapportent ont une portée bien plus grande. En effet, en raison de la richesse et de la densité des gisements préhistoriques connus, le Sud‐Ouest tient une place à part dans la Préhistoire nationale, et même mondiale. Notre ambition est donc de travailler ensemble, de manière concertée, afin de documenter cette question et replacer les vestiges que nous étudions dans une perspective plus vaste, à l’échelle de l’Europe, et même au‐delà. Rappelons qu’aujourd’hui, les questions relatives à l’évolution cognitive des premiers humains (capacité à enterrer volontairement leurs morts ‐ sépultures ‐, à créer des symboles, à produire des objets d’ornement...) sont très débattues lors des congrès mondiaux de Préhistoire, et reposent sur des travaux menés ces dernières années en Afrique, notamment en Afrique australe. L’application des méthodes de datation radiométriques à plusieurs gisements découverts dans ces régions a montré la grande ancienneté de ces comportements dits modernes, il y a plus de 70.000 ans (70 ka). Ces données sont évidemment d’une importance capitale mais elles ont, de fait, quelque peu occulté la richesse préhistorique de l’Europe de l’Ouest, simplement parce que nous ne sommes pas en mesure de placer sur une échelle chronologique les gisements qui se trouvent à notre porte, et réaliser ainsi des comparaisons avec ces gisements lointains. Aucun de nous ne peut en effet aujourd’hui répondre à la question : de quand datent les plus anciennes sépultures néandertaliennes du Sud‐Ouest ? Ou encore : sont‐elles aussi anciennes que celles du Proche‐Orient ?
Il est par conséquent essentiel de combler ce manque chronologique, mais cette tâche est ardue car ces vestiges proviennent pour l’essentiel de fouilles anciennes, réalisées il y a plusieurs dizaines d’années. Pour obtenir des résultats pertinents, il est donc essentiel de retourner sur les gisements afin que des échantillons soient prélevés dans le cadre d’une concertation entre physiciens, préhistoriens et anthropologues. D’autre part, l’obtention de jalons chronologiques solides passe nécessairement par la confrontation de données obtenues par différentes méthodes de datation, à partir de supports différents. S’il est clair que les sédiments archéologiques nous livreront des grains de quartz, datables par luminescence stimulée optiquement (OSL), ils fourniront également des grains de feldspaths qui ont des propriétés de dosimétrie et de luminescence différentes, ce qui permettra une confrontation des résultats. C’est pour cette raison que les physiciens de l’IRAMAT‐CRP2A s’attacheront dans le cadre de ce projet à développer leur expérience de la datation des feldspaths. Une part de l’action portera sur l’étude des propriétés de ce minéral, en s’appuyant sur l’expertise des physiciens du laboratoire LUX, de l’Université du Québec à Montréal, tandis qu’en parallèle, le groupe de l’IRAMAT‐CRP2A, renforcé par un étudiant en thèse de doctorat recruté pour ce projet, cherchera à exploiter en vue de datation les signaux de radioluminescence des feldspaths.
La datation des feldspaths reste aujourd’hui encore un domaine de recherche très ouvert : en effet, au niveau international, à l’exception du laboratoire LUX de l’Université du Québec à Montréal, très peu de chercheurs consacrent leurs travaux aux feldspaths. Pourtant, ces derniers offrent un grand potentiel en terme de datation, du fait de leur ubiquité dans les sédiments d’une part, et parce qu’ils présentent certains avantages par rapport au quartz d’autre part (capacité à enregistrer des doses élevées, et donc possibilité d’étendre la portée temporelle de la méthode de datation ; teneur en potassium élevée ‐ jusqu’à 12 % environ pour les feldspaths potassiques ‐ rendant la datation moins dépendante de l’évolution de la dosimétrie environnementale). Ils présentent néanmoins un problème majeur ‐ le fading anormal ‐ qui se traduit par une fuite régulière et indépendante de la température des charges accumulées par le cristal consécutivement à une irradiation (Wintle 1973).
Par ailleurs, leur signal de Radioluminescence n’a été que peu exploré et utilisé à des fins de datation jusqu’à présent. En effet, seuls deux équipements de ce type sont aujourd’hui opérationnels au niveau mondial. Ce projet est donc à la fois ambitieux et risqué de ce point de vue puisque le recul sur ces expériences est encore faible, mais c’est aussi ce qui en fait un projet novateur qui hissera l’équipe de l’IRAMAT‐CRP2A au meilleur niveau dans ce domaine.
Une autre particularité de notre approche sera de comparer entre elles les différentes méthodes d’étude et de datation des feldspaths, mais aussi de comparer ces résultats avec ceux obtenus par l’application de méthodes de datation voisines (OSL sur quartz, TL sur silex), comparaisons qui permettront de valider les protocoles de datation définis sur la base des recherches méthodologiques.
Au niveau des applications chronologiques proprement dites, l’effort de datation portera sur une période mal connue de l’évolution humaine dans le Sud‐Ouest, située au cours des stades isotopiques 5 et 4, c‘est à dire entre ‐100 et ‐50 kans. En effet, actuellement, la chronologie de nombre de gisements placés dans cet intervalle de temps est fondée uniquement sur des corrélations stratigraphiques car, dans la très grande majorité des cas, aucune datation radiométrique n’est disponible. Or, cette période a été marquée par la production d’industries lithiques très différentes (Levallois typique, Levallois à denticulés, Moustérien de type Quina...) que les préhistoriens ne peuvent aujourd’hui situer de façon fiable sur une même échelle chronologique. De même, nous ne connaissons pas l’ancienneté des sépultures néandertaliennes du Sud‐Ouest qui, bien souvent, ont été trouvées associées à ces industries lithiques. La datation de ces niveaux archéologiques apportera donc des jalons chronologiques permettant de documenter l’évolution de ces populations préhistoriques et des industries qu’elles ont produites. Les préhistoriens pourront ainsi mieux appréhender les questions de succession ou de contemporanéité de ces industries, et repositionner ces questions par rapport aux modifications de l’environnement qu’a connu le Sud‐Ouest durant cette période marquée par de forts changements climatiques.
Publié le 1er janvier 2011 , mis à jour le 19 février 2024.